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Doit-on développer le tourisme spatial ?

Doit-on développer le tourisme spatial ?

En bref :

Richard Branson, Jeff Bezos ou encore Elon Musk, voici les nouveaux pionniers de l’espace. Tous sont parvenus à faire prendre de la hauteur aux humains, en les envoyant à plusieurs centaines de kilomètres au-dessus de notre planète Terre, aux côtés des satellites et des astéroïdes. Mais dans quel but ? Objet de débats, ce “tourisme spatial” n’est-il qu’un loisir ou relève-t-il d’enjeux plus globaux ? 

💡 Pourquoi c’est intéressant ? Se pencher sur la question permet d’évaluer les différents niveaux sur lesquels portent les enjeux de conquête de ce nouvel eldorado : environnement, technologie, économie. 

Les faits : 

– Le 11 juillet 2021, Richard Branson, fondateur du groupe Virgin, réalise le premier vol spatial civil, avec 5 autres personnes, raconte Le Figaro

– Le 20 juillet, c’est au tour de Jeff Bezos, patron d’Amazon de s’envoler vers les étoiles, à bord de sa fusée New Shepard, comme le relate Siècle Digital. À bord, trois autres civils américains, invités par le milliardaire. 

– Enfin, rapporte RTL, le 16 septembre, la fusée Falcon 9 de la société d’Elon Musk Space X envoie pour la première fois de l’Histoire quatre civils dans l’espace, sans aucun astronaute à bord. 

🚀 Le tourisme spatial, un loisir nocif ?

– Ces vols n’ont pas manqué de faire réagir à travers le globe. À commencer par le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres qui, d’après Business AM, a qualifié ces essais de “course des milliardaires vers l’espace [ne faisant] que témoigner de l’énorme fossé qui existait entre les pauvres et les ultra-riches”. La sénatrice américaine Elizabeth Warren, candidate aux primaires démocrates de 2020, a également ciblé Jeff Bezos, détaille CNBC, en confrontant le peu d’impôts qu’il paye et ses projets à plusieurs milliards de dollars. 

– Selon The Conversation, qui s’appuie sur le rapport d’évaluation environnementale de la mission SpaceShipTwo (de Virgin Galactic), un vol complet (de quelques minutes) pourrait émettre environ 27 tonnes de CO2, ou 4,5 tonnes par passager, soit plus de deux fois l’émission individuelle annuelle évaluée par le GIEC pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris. Un vol rejetterait aussi des suies, 600 tonnes (l’équivalent d’un mois d’émission de l’aviation civile mondiale), qui pourraient rester en suspension pendant une dizaine d’années, entre 30 et 50 kilomètres d’altitude, modifiant ainsi le climat de tout le globe. Le bilan écologique de la mission Falcon 9 n’est pas vraiment meilleur, selon le rapport de la Federal Aviation Administration : 1 150 tonnes de CO2 rejetées (en comptant les navires et l’hélicoptère pour récupérer la capsule), soit 638 ans d’émissions d’une voiture moyenne parcourant 15 000 km par an. 

– Dans cet édito, Le Monde s’inquiète de l’absence d’une régulation de l’espace, tandis que son exploitation par des entreprises privées y bouleverse la suprématie étatique d’autrefois. Le journaliste craint de voir se reproduire les erreurs commises avec Internet dont l’entière gestion est assurée par des entreprises privées, rendant ses règles difficilement régulables pour les États aujourd’hui.   

– Pour le collectif Passerelle qui s’exprime à ce sujet sur Le Drenche, ce tourisme spatial est une “débauche d’énergie” et un “gaspillage de ressources”, qui promeut “le fantasme de la conquête et le mythe de la toute-puissance de l’humanité sur la nature”. Il dénonce, entre autres, le coût de tels projets, comme un vol vers l’ISS, pour lequel chaque passager devra débourser entre 20 à 35 millions de dollars, soit le budget quotidien de 15 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

– Sur le blog de Médiapart, l’ingénieur Sylvain Helloat invite à s’interroger sur les messages que véhiculent ces projets : ils agrandissent la défiance envers les élites, qui peuvent s’arroger tous les droits, dont celui de polluer, ou livrent l’idée que le progrès de l’humanité est continu et sans limite (ce qui freine, entre autres, la remise en cause de nos modes de vie nocifs pour l’environnement).  

– Alors que Jeff Bezos et Elon Musk veulent, dans le long terme, emmener des millions de personnes dans l’espace pour y fonder des colonies, l’historien de l’espace Jordan Brimm s’interroge dans Business Insider sur le caractère éthique de ces projets, et sur la capacité de ces milliardaires à “établir des ordres sociaux et politiques justes et humains hors du monde”. Il s’inquiète de savoir à qui sert l’espace ? “Aux soldats, aux scientifiques, et maintenant aux riches”, selon lui, car Matthew Hersch, historien de la technologie aérospatiale, explique que les demandes d’accès à ces vols de la part de “gens ordinaires” restent faibles. 

🛰️ Le tourisme spatial, un atout pour la science et les technologies ? 

– Le nombre d’objets connectés va avoir tendance à se multiplier très rapidement sur Terre dans les prochaines décennies (voir notre kit sur la 5G). Pour répondre à ce défis, Elon Musk et Jeff Bezos veulent chacun offrir une connexion Internet haut-débit partout dans le monde, depuis l’espace, en déployant des milliers de satellites en orbite à 500 kilomètres d’altitude au-dessus de nos têtes (RFI). Ces vols sont en quelque sorte une reconnaissance de l’espace, pour mieux appréhender le milieu. L’Union européenne développe également son projet de constellation présenté par Le Figaro, qui devra mettre fin aux zones blanches en Europe et servir de voie de secours en cas de cyberattaque massive selon le commissaire Thierry Breton. 

– Pour la RTBF, Sarah Baatout, responsable du laboratoire de radiobiologie au Centre d’études nucléaires de Mol, précise que ces voyages peuvent permettre d’enrichir les connaissances scientifiques autour de leur impact sur le corps humain, notamment en fonction du degré de préparation.

– Michel Messager, président du Cabinet Conseil Consul’Tours, estime sur Le Drenche que les projets de tourisme spatial vont permettre de créer des milliers d’emplois directs et indirects, pas seulement dans le domaine strictement spatial, et de l’activité économique supplémentaire avec la création d’infrastructures touristiques (les spaces ports, parcs d’attraction, musées, hôtels) et de produits dérivés. Il les juge même comme l’avenir du secteur touristique selon L’Obs. Le site Révolution énergétique reprend les projections de la société suisse UBS, spécialisée dans les services financiers, qui estime à trois milliards de dollars le futur marché du tourisme spatial. 

– Pour l’astronaute français Jean-François Clervoy sur franceinfo, ces projets sont “une performance industrielle, technologique, mais humaine puisque ce sont des hommes et des femmes qui font les systèmes”, et ont permis des progrès technologiques et techniques inédits. Il ne voit pourtant pas ces vols comme le futur transport de masse dans l’espace, car cela “restera une industrie essentiellement professionnelle”. 

– Interrogé à ce sujet par France Inter, l’astronaute Thomas Pesquet estime que le tourisme spatial “peut être un bien. Il faut espérer que ça soit une force positive.” Selon lui, ce genre de projets permet de faire ressortir l’inventivité de l’Homme, sa capacité à se dépasser, à créer.

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