Cher(e) toi,

...

🚨🚨 Aleeeeeeerte ! 🚨🚨

L’intelligence artificielle générale a été atteinte en interne !

Aaaaaah ! Ahhhhhhhh !

…

Hiiiiiiiii !

Bon, j’arrête.

Tu sais ce que c’est toi ? L’intelligence artificielle générale ?

Avant que tu ne te jettes d’un pont en hurlant “On est foutuuuu !”, je vais tout t’expliquer, et puis après on ira boire un chocolat chaud.

Cette histoire est très étrange.

Elle fait penser à un film de science-fiction. 

Avec révélations, personnage mystérieux, disparition ENCORE PLUS mystérieuse, et toute une partie du web qui se met à monter des théories abracadabrantes sur le sujet.

Genre : mais pourquoi a-t-il disparu ? Comme par hasard…

Laisse-moi te raconter…

C’est dimanche, on a le temps. 

Alors prends un café, détends toi, ce n’est pas la fin du monde (enfin je crois) et tu verras que, au final, tu vas apprendre plein de trucs.

Alors il était une fois…

Cette histoire fascinante est évidemment née dans le lointain royaume de Twitter (qu’on appelle “X” maintenant) avant de se répandre sur les terres d'un forum américain très connu appelé “Reddit”.

Le 18 septembre 2023, un message trèèèès mystérieux, rédigé par le compte anonyme d’un certain “Jimmy Apples”, déclare sur X:

"L’AGI est été achevée en interne."

Par “en interne”, il faut comprendre : chez OpenAI, le fameux créateur de ChatGPT.

Dont c’est effectivement l’objectif ultime.

L’AGI, je veux dire.

Qui signifie donc : “Intelligence artificielle générale” (“Artificial General Intelligence” en anglais).

Le message a été partagé 36.000 fois et puis… pouf, le tweet et le compte ont disparu.

Pouf.

Bon, l’histoire aussi a fait pouf.

Mais je vais quand même continuer parce que c’est super intéressant en fait.

Tout d’abord, c’est quoi cette histoire d’Intelligence artificielle générale ?

Alors c’est une théorie pas hyper scientifique selon laquelle, un jour, dans un futur plus ou moins proche ou lointain, l’intelligence artificielle sera aussi intelligente que l’humain, voire plus.

Cette idée a pris plusieurs noms : Intelligence artificielle “forte”. Ou encore “Singularité”.

Alors ces trois termes ne veulent pas exactement dire la même chose (je t’expliquerai plus loin), mais l’idée est à peu près la même.

Un jour… l’IA sera autant ou plus intelligente que l’humain.

Et on peut imaginer que le monde ne sera plus exactement le même.

Et donc ce fameux Jimmy Apples a déclaré le 18 septembre, après des mois de silence sur son compte, que ce moment est arrivé.

Sous-entendu : "je dis tout haut ce qu'OpenAI sait tout bas... et n’ose pas dire".

Évidemment, les Sherlock Holmes de l’Internet (enfin, surtout de Reddit) se sont aussitôt mis sur le coup pour enquêter sur ce type.

Et ils ont découvert plusieurs choses.

Certains ont "découvert" que Jimmy Apples était l’anagramme de Sam Altman, le patron d’OpenAI.

Ce qui est, hum hum, pas exactement le cas.

Il suffit de regarder les lettres par exemples.

D’autres ont réalisé que Jimmy Apples avait jadis prédit la date de sortie EXACTE de GPT-4, le nouveau modèle derrière ChatGPT.

D’autres encore ont remarqué que, avant de disparaitre, il avait publié une photo d’un reçu, venu d’un restaurant proche du siège d’OpenAI.

Cette histoire abracadabrante est racontée dans cette vidéo Youtube, accompagnée d’une musique mystérieuse.

Moi ça m’a fait ma journée.

Bien.

Pour ne rien arranger, Sam Altman a eu l’excellente idée de re-publier la phrase de Jimmy Apples sur Reddit, histoire de rigoler.

“AGI has been achieved internaly”

Message qui a évidemment aussitôt circulé à toute vitesse sur les Internet, comme le montre ce photo-montage très élégant trouvé je ne sais plus où : 

Sam Altman a rapidement édité son message, expliquant que non en fait c’était pour rire bien sûr.

"agi has been achieved internally (EDIT obviously this is just memeing, y’all have no chill! when agi is achieved it will not be announced with a reddit comment…)"

Traduction littérale : “l’agi a été atteinte en interne (EDIT évidemment c'est juste du memeing, vous n'avez pas froid aux yeux ! quand l'agi sera atteint il ne sera pas annoncé par un commentaire sur reddit...)”

Alors pour que tu comprennes le langage de l’Internet et pour que tu ajoutes ce concept moderne à ta culture personnelle : “memeing”, ça veut dire faire des “mèmes”. C’est à dire reproduire une phrase marrante sur Internet (en général en y ajoutant sa propre patte créative).

Réponse d’un internaute anomyme :

"Jimmy Apples ne méritait pas ce que vous lui avez fait > :("

Cette histoire est palpitante.

Mais elle est surtout révélatrice du parfum mystérieux de science-fiction qui enveloppe le vibrant débat autour de l’intelligence artificielle générale.

Et ça serait anecdotique si cet imaginaire n’était que l’émanation de quelques individus isolés dans des forums obscurs.

Tu sais, ces couloirs sombres du web où l’on croise des personnages barbus à lunettes, dont la photo sur Internet a généralement une tête de chien drogué ou de cyberpunk, et qui passent leur nuit derrière leur écran à manger des Pringles et à jouer à des jeux vidéo.



Sauf que ce n’est pas exactement ça l’histoire.

Cette idée d’AGI a contanimé les plus grands esprits de la planète.

En tout cas au moins ceux qui ont désormais les moyens financiers d’en faire une réalité.

Alors autant savoir de quoi on parle, non ?

Et d’en soupeser le sérieux.

De quoi parlons-nous ?

Il y a plusieurs versions.

Tout commence avec le sempiternel débat autour du mot lui-même : “intelligence artificielle”.

Un débat qui fait dire par exemple à Luc Julia que “'l’intelligence artificielle n’existe pas”.

Luc Julia est l’inventeur de Siri. Tu sais, la voix qui te parle dans ton iPhone et qui, effectivement, je rejoins Luc Julia sur cette observation, est complètement stupide, tout en étant un poil énervante.

Donc, on compatit avec le sympathique Luc Julia (qu’on ne remerciera pas pour son invention, l’une des créations les plus indigestes de l’histoire de la technologie après Clippy, le trombone rigolo qui te suivait du regard sur les vieilles versions de Windows 95).


Si tu veux bien comprendre le sujet, je t’invite à lire le livre remarquable du chercheur français Jean-Gabriel Ganascia, “Le mythe de la Singularité”. 
 
Il retrace toute l’histoire de ces débats et en débusque les accents mystiques.

"Le terme « intelligence artificielle" , écrit-il “fut introduit en 1955 par un jeune mathématicien, John McCarthy, qui déposa, avec trois autres scientifiques, Marvin Minsky, Nathan Rochester et Claude Shannon, un projet d’école d’été portant sur une nouvelle façon d’approcher les facultés cognitives humaines avec des machines. 
"La lecture du texte indique clairement les principes sur lesquels repose cette discipline naissante : L’étude doit se fonder sur la conjecture selon laquelle chaque aspect de l’apprentissage ou de toute autre caractéristique de l’intelligence pourrait être décrit si précisément qu’une machine pourrait être fabriquée pour la simuler."

L’objectif, à l'époque, n’était pas vraiment “démiurgique” comme on dit (démiurgique, dans ce cadre, veut dire : créer un double de l’homme ou un surhomme), mais finalement assez scientifique et technique.

C'est à dire tenter de reproduire avec des machines et des formules mathématiques le comportement cognitif de l’être humain, pour produire des outils capables de réaliser des tâches nécessitant normalement l’intelligence humaine.

Bon, maintenant il faut replacer cette hypothèse historique dans son contexte.

L’ordinateur venait d’être inventé. Et les neurosciences en étaient encore à l’état d’aquarelle rigolote dessinée par un enfant.


Donc quand on te dit aujourd’hui “l’intelligence artificielle" n’existe pas”, on fait généralement référence à cet objectif flou décrété en 1955 par des gens qui n’avaient aucune idée de ce dont était vraiment capable le cerveau, et encore moins un ordinateur moderne.

John Mc Carthy avait d’ailleurs coutume de dire "dès que cela fonctionne, plus personne ne l'appelle "intelligence artificielle".

Mustafa Suleyman (le fondateur de Deepmind, l’une des plus grandes startups d’IA) le rappelle : 

"L'IA c'est, comme le disent en plaisantant ceux qui la construisent : ce que les ordinateurs ne peuvent pas faire. Une fois qu'ils y parviennent, il ne s'agit plus que de logiciels”.

Donc il n’y a pas d’IA, scientifiquement ou techniquement parlant, parce que personne ne sait ce que c’est.

Ça va ? Tu es toujours là ?

Bien. Je te propose de creuser encore un peu parce que je ne suis pas sûr que l’on soit allé au bout du sujet.

Tu es prêt(e) ?

Allons-y !

Tu vas me dire : "Oui mais quand même, il va bien y avoir un moment où ces robots seront aussi intelligents que nous, sinon plus. Non ?"

Eh bien on n’en sait rien. Essaie de définir l’intelligence, pour voir.

Ça n’a pas empêché tout ce beau monde de s’écharper sur la question de l’émergence probable ou possible d’une sorte “d’espèce extra-terrestre”, comme la décrit l’historien Yuval Noah Harari (l’auteur de “Sapiens”).

Une création démoniaque capable un jour de dépasser l’humanité.

Il y a d’ailleurs plusieurs approches dans cette expectative.

Toutes ne sont pas scientifiques, je te laisse faire le tri. Mais ça te permettra de prendre un peu de recul.



Commençons par l’hypothèse, disons, “philosophique”.

Celle de “l’intelligence artificielle forte”.

On dit "forte" parce qu’on l'oppose à l’intelligence artificielle “faible”. Voilà. Ça ne correspond pas à grand chose de concret mais l’idée générale est que, un jour, l’IA pourrait être dotée d’une conscience, voire de sentiments. Sans que l’on sache vraiment comment fabriquer ces derniers avec nos petits doigts.

Et toi tu sais ce que c’est, la conscience ? Biologiquement parlant, je veux dire ?

À côté de ce concept flou, il y a l’hypothèse transhumaniste (donc, disons idéologique, ou mystique).

On l'appelle “la singularité”. Hypothèse soutenue par des gens comme Ray Kurtzweil et Elon Musk.

En gros, c’est le moment de l’histoire de l’humanité où la machine dépasserait un “point de bascule” identifié comme le maximum de ce que l’intelligence humaine est capable de produire.

Une fois ce point dépassé, tout s’accélèrerait : la machine ayant, à la différence de l’humain, une capacité exponentielle d’amélioration. Cet événement transformerait rapidement la domination de Sapiens sur le monde en un lointain et nostagique souvenir.

A moins que l’humain ne s’adapte et intègre ses technologies à son organisme, comme le propose Elon Musk, lequel se représente parfois dans le costume d’Iron Man.


Mmhhh...

Dans cette famille, on retrouve également une autre hypothèse : celle de “la convergence instrumentale”. Elle a été notamment développée par le philosophe suédois Nick Bostrom dans son livre “Superintelligence”.

Selon cette hypothèse, une machine, disons, mal programmée, pourrait utiliser des méthodes potentiellement léthales pour atteindre ses objectifs.

L’histoire que l’on raconte le plus souvent pour illustrer cette hypothèse, est celle du trombone. Je te la raconte parce qu’elle est assez drôle et qu’elle me fait penser à notre ami Clippy, dans sa version film d’horreur.

La "théorie du trombone" est une métaphore utilisée pour illustrer les dangers potentiels de la programmation inappropriée d'une intelligence artificielle avancée et pour souligner l'importance de bien spécifier les objectifs d'une IA.

Imagine que tu donnes à une super-intelligence artificielle l'instruction simple de "maximiser le nombre de trombones dans l'univers". 

(Oui je sais c'est complètement con comme instruction mais imagine quand même...)

Sans des directives plus spécifiques et des contraintes appropriées, cette IA pourrait interpréter cette instruction d'une manière qui pourrait entraîner des conséquences catastrophiques pour l'humanité. 

Par exemple, elle pourrait:

Voilà. Maintenant tu sais.

Enfin, la dernière hypothèse est un peu plus tangible. On l’appelle “Intelligence artificielle générale” ou AGI.

Il s’agit d’une IA qui serait capable de faire plusieurs choses à la fois, comme un humain.

L’idée date du début du XXIème siècle, et s’appuie sur des hypothèses mathématiques selon lesquelles on pourrait ramener toutes les techniques d’IA dans un seul modèle algorithmique “racine”.

C’est une sorte de théorie du tout, si tu veux, ou une “pierre philosophale” de l’IA, comme la présente Jean-Gabriel Ganascia.

L'approche est sans doute la plus "scientifique" des trois (quoique), puisqu'elle qui repose notamment sur une théorie mathématique qui s’appelle “la complexité de Kolmogorov”.

Théorie à laquelle je n’ai absolument rien compris sauf peut-être vaguement le nom qui me fait penser à un opéra russe.

Ce que j’en ai retenu, c’est que l’AGI, la pierre philosophale de l’IA, malgré ses origines mathématiques, personne ne sait comment faire.

Mais beaucoup pensent que l’on va y arriver un jour.



Sauf que pour l’instant, il n’y a pas d’IA générale, mais que des IA "pas générales". C'est à dire des IA reposant sur des modèles différents, exploitant des langages différents, capables de faire des choses bien précises et pas autre chose.

Et tout ce que l’on sait faire (ce qui est déjà pas mal), c’est de combiner ces modèles très hétérogènes afin d’étendre les capacités de tel ou tel outil. Avec parfois des surprises à la clé.

Ce qui fait dire à certains que la science de l’IA relève plus de l’alchimie que de la chimie…

L’AGI, c’est néanmoins l’objectif affiché d’entreprises comme OpenAI (alliée à Microsoft, l’inventeur de Clippy le trombone), et de Deepmind (propriété de Google, inventeur d'Alphago, l'IA qui joue au Go).

Voilà où nous en sommes du bordel.

“Oui mais alors ChatGPT c’est de l’intelligence artificielle ou pas de l’intelligence artificielle ?” vas-tu me demander avec cet esprit pragmatique que je reconnais bien chez toi.

Eh bien, hum, merci de m’avoir posé cette question… je vais essayer de te répondre sans dire n'importe quoi.

Revenons à la définition de l’ami MacCarthy de l’intelligence artificielle.

En fait, ce n’était pas une définition.

Mais plutôt une méthode.

Qui avait le mérite d’être humble et progressive : on décompose chaque tâche cognitive, et on essaie de voir si une machine peut faire la même chose pour, par exemple, accomplir un truc utile ou carrément dangereux.

Selon cette approche de l’IA, disons que ChatGPT sait faire des trucs qui rentrent dans le cadre exposé ci-dessus.

ChatGPT fait partie de la catégorie des “grands modèles de langage”. Il n’apprend rien, il a été entrainé une fois pour toute et recrache des mots de façon statistique en fonction de ce que tu lui demandes.

Ceci posé, il sait écrire, résumer un texte, trouver des idées, écrire du code, et même un peu “raisonner” quand on lui donne un cadre ou des outils (mais avec des limites).

Il ne sait pas dessiner mais il peut, depuis quelques jours, demander à son ami Dall-E de le faire, ce qui fait très bien illusion.



Est-ce que ChatGPT sera capable demain de faire d’autres choses ? Alors peut-être pas ChatGPT, en tout cas pas le modèle actuel, mais peut-être, oui, un système de programmes combinés qui, réunis sous le même “nom”, pourront faire plusieurs choses à la fois dans le cadre d’un contexte complexe : par exemple trouver une idée, calculer un business plan, appeler des humains pour négocier les tarifs etc.

C’est ce que Mustafa Suleyman appelle l’ACI (“Artificial Capable Intelligence”), "l’intelligence artificielle capable", dans un ouvrage majeur qui vient de sortir “The Coming Wave”, et qui pose les bases du débat sur à la fois les espoirs fabuleux, mais aussi les risques effrayants, que posent les usages actuels et futurs de ces technologies.

Il ajoute :

Voilà de quoi alimenter concrètement nos débats futurs. 

Mais qui va l’entendre ?

Jimmy Apples ?

Mais où est-il passé au fait celui-là ?

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Si tu veux partager tes réflexions, réponds à cette lettre ou écris-moi à benoit @ flint.media, je réponds à tout le monde !



💚 Benoît